LE BOGOLAN TRADITIONNEL
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Depuis quelques années le bogolan a subi un effet de mode. Que ce soit en stylisme, en ameublement ou en décoration, son utilisation est aujourd'hui courante.

Le créateur malien Chris Seydou, récemment disparu, fut le premier à l'intégrer dans ses collections de haute couture. Présenté dans le monde entier, le bogolan a connu un grand succès. Il est aujourd'hui apprécié et recherché hors du Mali.

Cet engouement subit n'a pas été propice au Bogolan. Les artisans se sont multipliés et les thèmes traditionnels oubliés, ceci au profit d'un graphisme souvent pauvre et d'un travail peu soigné. L'impression s'est même industrialisée, afin d'accroître la production. Nous assistons à une évolution et à la dilution d'une tradition millénaire, confrontée à une diffusion de masse.

Malgré ce phénomène, peu de personnes connaissent l'origine et la technique du bogolan.


Le bogolan est une technique de teinture traditionnelle d'Afrique de l'ouest. Les peuples issus du groupe Mandé la pratiquent depuis une époque reculée. Aucune datation précise n'a pu jusqu'alors être arrêtée, compte tenu de la fragilité des matériaux et de la difficulté de leur conservation.

L'origine même du bogolan est inconnue, selon une légende, cette découverte fut fortuite. Une femme revêtue d'un pagne teint au n'galama l'aurait malencontreusement tâché avec de la boue provenant du fleuve. Lorsqu'elle tenta de le nettoyer, elle s'aperçut que la boue avait teint le tissu du vêtement, les tâches étaient devenues indélébiles.

Plusieurs ethnies ont pratiqué et pratiquent encore à ce jour le bogolan; les Dogons, les Bobos, les Sénoufos et Miniankas, les Malinkés et les Bambaras. Héritiers de cette tradition, ils développent chacun un style singulier évoluant à travers les âges.

Le bogolan est un terme Damanan. il signifie littéralement, le résultat que donne l'argile. En effet la teinture du tissu s'obtient par réaction chimique lors de l'application de la boue sur le support textile. Toutes les nuances colorées sont obtenues à partir de matériaux minéraux et végétaux.

Ce travail artisanal est en général réservé au femmes âgées ne pouvant plus se consacrer aux travaux éprouvants, aux plus jeunes lors de la saison sèche et aux autres femmes lors de leur temps libre. Elles exécutent alors des vêtements pour la communauté (trousseaux de mariage, pagnes, pantalons, tenues de chasse, de travail ou de parade). A l'origine chaque tenue, de par ses motifs et ses coloris, était vouée à un usage particulier. Chaque signe reproduit détenait une signification symbolique précise. Actuellement ces motifs tendent à disparaître au profit de signes purement graphiques, vidés de sens.


Après avoir ramassé le coton dans les champs, il faut nécessairement le filer.

Ce travail est réservé aux femmes. A l'aide d'un fuseau, la fileuse assise par terre, tord et étire le coton entre ses doigts. Par un mouvement répétitif de la main elle fait tourner le fuseau tout en lui donnant une impulsion, afin d'enrouler le fil autour du bâtonnet en bois.

Le métier à tisser utilisé pour fabriquer les bandes étroites de cotonnade est spécifique à toute l'Afrique de l'Ouest.

Ce métier, appelé tiagnirgal est tout à fait particulier. Il est horizontal et possède deux rangs de lisses et de pédales. Seuls les hommes sont habilités à tisser, ils travaillent en groupe, en plein-air, sur la voie publique. Actionnant avec leurs pieds tour à tour les deux pédales, les tisserands entrecroisent, dans un mouvement perpétuel, les fils de la chaîne et de la trame. Au fur et à mesure de sa réalisation, la bande tissée est enroulée autour d'un bâton situé au niveau de la poitrine de l'artisan.


La bande ininterrompue de cotonnade blanche tissée mesure 27 mètres de longueur, pour une largeur d'une douzaine de centimètres. Pour la confection de vêtements, plusieurs bandes sont coupées et assemblées entre elles. La couture se fait généralement à la main, le point est lâche afin de ne pas rigidifier le tissu.

Le bogolan est une technique d'impression nécessitant plusieurs étapes de réalisalion. A base de matériaux naturels, la teinture mord la cotonnade blanche, selon un long processus alternant trempage et lavage.

L'artisane travaille assise par terre, devant elle est placée une callebasse retournée, sur laquelle elle pose son ouvrage. Tous ses instruments à tracer sont à portée de main, des traces-lignes (kalama) plus ou moins fins, des spatules en métal, des tiges de mil, de rônier, des plumes, des brosses (bâtonnets de rônier) mais aussi ses pots de couleurs à base de boues et de décoctions.

N'galama (feuilles) et N'pekou (Ecorce de vigne sauvage)

La cotonnade blanche tissée est plongée dans une teinture végétale, le plus fréquemment dans une décoction de n'galama (feuille de l'arbre anogeissus leiocarpus) afin de donner une coloration de base et de permettre par réaction chimique la fixation d'autres couleurs. Le tissu est ensuite exposé au soleil, I'action de ses rayons renforce la teinte jaune obtenue par ce premier bain de trempage.

Le support est prêt à recevoir le dessin. L'artisane applique alors de la boue qu'elle s'est procurée au préalable dans les marigots ou dans le Niger, et qu'elle a fait fermenter dans une jarre. Parfois de vieux clous favorisant l'oxydation y sont ajoutés. La femme trace des motifs à l'argile sans dessin préléminaire, elle traite ainsi le fond, par un travail en négatif, en réserve. Après le séchage de l'étoffe au soleil, cette dernière est soigneusement lavée, afin d'enlever l'excédent de boue.

Pagne trempé dansune décoction de N'galama

Dessins réalisés avec la boue

Pagne lavé

Parties blanchies à l'eau de Javel

N'pekou appliqué sur certains motifs

Le dessin apparaît à cette étape en noir sur un fond ocre jaune. La réaction chimique entre la boue et la décoction de n'galama, rend la teinte noire indélébile. L'opération peut être renouvelée pour l'obtention d'un noir plus profond. Sur cette base, I'artisane peut éclaircir certaines parties, par l'action d'un savon corrosif (savon de Sodani) ou de l'eau de javel rincée par la suite, ou alors, elle peut teindre certains éléments de la composition par décoction de minéraux ou de végétaux. Les teintures successives peuvent être fixées par des détergents ou des fixatifs végétaux (par exemple, les feuilles et les fruits du Tamarinier, fixent le noir et l'ocre iaune).


Le pagne est un vêtement tradilionnel féminin. La femme le porte enroulé autour d'elle, sans système de fermeture. Elle attache le côté droit sur le côté gauche. Il couvre son corps du nombril aux chevilles. Le pagne traditionnel est composé en général de sept bandes de contonnades cousues entre elles (le taafe en bamanan).

La composition du pagne est divisée en cinq parties. La bordure droite, sokonon bolo (so: la maison, konon: dedans/ à l'intérieur, bolo: main/ limite) est cachée lors du port de l'étoffe. La bordure gauche, kenema (dehors) bolo est visible. La bordure supérieure, fini siri (attacher) bolo (ou finitayoro) permet de nouer la pagne. La bordure inférieure, duguma bolo ou senkorola (duguma: la terre/ le sol, sen: le pied, korola: auprés de) décore le bas du pagne. Le panneau central, finin ba (ba: grand/ mère, finin: tissus, étoffe), donne le thème à l'ensemble de la composition.

Chaque signe dessiné sur le pagne détient une signification symbolique propre. Juxtaposés à d'autres signes et selon leur place dans la composition générale, les motifs, chargés de messages offrent le récit d'événements réels et mythiques. Les signes deviennent alors écriture pour ceux qui savent les déchiffrer. L'interprétation donnée aux différents éléments ornant le textile révélent la signification du pagne.

Les histoires reproduites sur le pagne en bogolan protègent la femme qui le revêt. Elle en possède plusieurs, portés selon leurs significutions à des moments particuliers de sa vie d'épouse ou de mère.


 

Le bogolan a subi ces dernières années une évolution importante tant dans le domaine artisanal qu'artistique. L'appariton du bogolan dans les Beaux Arts remonte à une vingtaine d'années.

Une poignée d'artistes revendique alors son identité africaine, par l'appropriation de cette technique traditionnelle, authentiquement malienne disponible à un moindre coût.

Le bogolan devient une technique noble au même titre que toute autre technique d'expression artistique. Les artistes vont innover en mettant au point de nouvelles "recettes". Ils revalorisent leur patrimoine en lui conférant une dimension contemporaine.

Pauline DUPONCHEL, Juillet 1995